Ainsi, donc .., il est tout à fait banal de constater que le changement de millésime nous fait penser au temps qui passe et, ipso facto, au vieillissement. A en croire les grands historiens, il n'y aurait pas que les individus qui vieillissent; les sociétés, les peuples, les nations, subissent tous le même sort que la nature impose à toute structure vivante. II faut s'étonner que le peuple juif échappe à ce déterminisme naturel, et entame gaillardement le 34e siècle de son existence (37e si on compte depuis Abraham). Il y a donc un mystère autour de la "jeunesse" juive.
Depuis que Dieu a fait "sortir" Abraham du monde pour lui permettre de regarder les hommes de haut en bas, depuis que les enfants d'Israël sont sortis d'Egypte, lieu par excellence de l'enracinement naturel, notre peuple a pris racine ailleurs que dans la nature. Par une Alliance unique dans I'Histoire des hommes, il s'est mis à boire à une source extranaturelle, c'est-à-dire, à la source de jouvence qu'est la parole de Dieu. C'est là le secret de sa jeunesse. La Torah comme source de vie éternelle. Ce n'est pas une idée neuve. Les sages de notre peuple l'ont toujours su. Il est quand même important de le rappeler à un peuple juif qui croit qu'il peut s'en passer tout en gardant les avantages qu'elle lui conférait, comme Samson, croyant qu'il était toujours aussi fort après que ses cheveux eurent été coupés. Le désir de mort d'une partie de notre peuple le prouve suffisamment, car qu'est-ce que le désir d'assimilation sinon un désir de mort. Et qu'est-ce que le desir d'être "comme les autres" sinon un désir de retrouver le lot commun et de renoncer au miracle de l'éternité?
II ne faut pas se faire d'illusions. Le capital-jeunesse que nos ancêtres, dans leur foi inébranlable à la Tradition, nous ont légué, ne servira qu'un temps si nous ne le faisons pas fructifier pour nos descendants. II suffit d'ailleurs de voir dans quelle partie du peuple juif, aujourd'hui, on croit à l'avenir, c'est-à-dire, dans quelle partie de notre peuple on fait les enfants, les descendants, pour savoir où se trouve notre vérité.

Ainsi, donc... en cette heure ou j'écris, qui est pleine de menaces pour Israël, le souci majeur qui m'anime est celui de ''unité". Pour un peuple qui a été pendant des siecles homogène où, à part l'épisode Quaraïte , très secondairement pluraliste, le dilemme essentiel est celui du pluralisme et, donc, de la tolérance.
La question principale à poser est la suivante: Le peuple juif est un peuple religieux, Ia laïcité restant une affaire privée, ou bien, le peuple juif est un peuple laïc et la religion est une affaire privée. Parce qu'il ne peut pas y avoir une réponse évidente à cette question du fait de la Tradition millénaire de notre peuple, d'un côt? et de la conviction inébranlable des laïcs de l'autre, surtout quand ceux-ci prétendent, avec raison, à la primauté dans le domaine de la résurrection politique du peuple, il nous est indispensable de protéger notre unité par des barrières de tolérance, c'est-à-dire, que chacun doit s'astreindre à une discipline unitaire, c'est-à-dire, s'empécher de faire quoi que ce soit qui devienne intolérable, je dis bien, intolérable à l'autre.
Les religieux, de leur coté doivent accepter qu'il y a des Juifs qui refusent la spiritualité, par ignorance ou pour toute autre raison, mais ont le droit d'exiger que le domaine public du peuple ne soit pas profané et qu'on n'invente pas des "Judaïsmes" artificiels, vides de sainteté, condition sine qua non de toute réf?rence au Judaïsme.
Les gens peuvent exiger un respect de leur liberté individuelle mais ne peuvent pas prétendre dicter leur vision du monde au peuple en tant qu'il est un corps vivant unique, ou alors ils déclenchent le mécanisme de rupture.
Il nous reste à nous, Juifs de la Torah, à continuer, patiemment, et avec toutes les armes que nous offrent la Tradition et la pensée moderne, à enseigner et à donner l'exemple.

Ainsi, donc ... au moment où le peuple d'Israël, dans les deux sens de ces mots, se trouve inquiet devant des menaces terroristes par des fusées conventionnelles ou non, on peut se demander quelle est l'opportunité de maintenir l'esprit critique ouvert. Mon choix est fait. Quelle que soit la situation, la discussion doit rester ouverte. Il faut réagir quand on est étonné par des prises de position étranges, surtout quand elles se font dans la presse. Comment ne pas s'étonner quand un rabbin connu écrit, dans un journal connu, un article dans lequel il affirme qu'entre judaïsme et christianime il n'y a plus de contentieux, que le judaïsme n'a pas vocation à l'universalisme ou encore que l'Eglise serait en position d'arbitrer entre Juifs et musulmans. Comment ne pas s'étonner d'une lettre envoyée par le Conseil representatif des institutions juives de France au Vatican dans laquelle on reconnait au Pape son titre de "Sainteté" et le fait qu'il est l'incarnation de l'autorite spirituelle. Nous sommes bien prompts à reconnaitre ceux-là mêmes qui mettent tant de temps et tant de prudence pour nous reconnaitre. Ce n'est certainement pas le chemin d'une coexistence pacifique entre Judaïsme et Christianisme.
Après ces deux mille ans de mépris, nous sommes rentrés, enfin, dans le temps de la fierté. Nous avons le droit d'exiger de nos dignitaires d'être, certes, dignes de leur fonction mais, en plus, tout simplement, dignes.

Ainsi, donc... le canon ne s'est pas tout-à-fait tu que, déjà, les pressions de tout ordre commencent à pleuvoir sur Israël. Des Israëliens pseudo-démocrates qui souhaitent qu'on force Israël à une solution contraire au désir de sa majorité démocratique sous prétexte de le "sauver" de lui-même. Etrange conception de la démocratie. Des chrétiens réunis à Rome pour nous dire quelle Jérusalem leur plairait. Certainement pas la nôtre. Des Européens de tout bord qui veulent sauver leurs intérèts en Orient. Mème des Amèricains, pourtant amis. Mais comment demander à des amis d'être mieux disposés que nous-mêmes?
Le Judaïsme et Israël, religion-Mère des monothéismes chrétien et musulman, qui cherche toujours et encore la reconnaissance réelle de ses "filles". Etrange situation dans un monde qui connait la recherche de paternité et de maternité mais rarement, sinon jamais, le refus de maternité exprimé par les enfants. Serait-ce là la source de négation et de non-respect du christianisme et de l'Islam par rapport au Judaïsme. On voudrait avoir droit de propriété sur Jérusalem, ville de la Mère, en feignant ignorer que la Mère n'est pas morte. S'il est normal pour les filles de se sentir chez elles dans la maison de la Mère, il est insupportable d'imaginer une Mère dépossédée de ses titres de propriété par ses filles.
Faut-il rappeler encore? Si Jérusalem est une ville sainte chrétienne, d'ailleurs pas la seule, c'est parce que c'est une ville sainte juive. Si Jérusalem est une ville sainte musulmane, d'ailleurs troisième en sainteté, c'est parce que c'est une ville sainte juive. En ce mois d'avril qui va de Pesa'h à Yom Ha'atsmaouth, il semble désespérant d'avoir à le rappeler.

Ainsi donc ... pendant des siècles d'exil et de dispersion, le peuple Juif a gardé son unité et l'exprimait par un rite; trois fois par jour, matin, apres-midi et soir, tous les Juifs, où qu'ils fussent, se mettaient debout les pieds joints, face à Jerusalem, en prière.
Il s'agit pour nous, aujourd'hui, d'exprimer notre unité, notre solidarité envers Israël et notre convergence vers Jérusalem, par un geste associant la parole et l'action, et réunissant tous les Juifs, hommes et femmes, Religieux et laïcs, de droite on de gauche, d'lsraël ou de la diaspora.
Comment? En nous mettant debout, tous au même moment, les pieds joints, face à Jérusalem, en signe de témoignage et de fidelité. Quel jour? Une fois par mois, le 29e jour du mois juif, appelé Erebh Roch 'Hodech ou Yom Kippour Qa'tan, jour d'interrogation intérieure et de bilan personnel (27e jour du mois quand le 29e tombe un Chabbath). A quelle heure?
La seule heure qui permette à tous les Juifs, de Sydney en Australie jusqu'à Anchorage en Alaska, d'être au même jour, c'est-à-dire a 0500 GMT.
Pour faire quoi? Pour les religieux:
- Amidhah du moment, Amidlhah supplémentaire, Récitation des passages de la "Amidhah" concernant Jérusalem.
Pour les laïcs:
- Méditation sur l'Histoire juive. - Meditation sur la destinée juive.
- Méditation sur l'unité du people juif. - Un moment de silence.
Pour tous
- Lecture du Psaume 122.
Nous retrouverons là nos valeurs traditionnelles vécues par les Juifs d'aujourd'hui dans leur pluralité.

Ainsi donc ... pour un observateur, non averti, l'image offerte par le peuple juif aujourd'hui ressemble étrangement à cette cacophonie qu'offre l'orchestre pendant quelques minutes qui précèdent le concert.

Les violonistes essayent d'accorder leurs violons dans le brouhaha général et se chauffent les doigts en jouant qui du Paganini, qui du Bach ou tout simplement des gammes. Les instruments à vent soufflent à qui mieux mieux et couvrent les cordes par leur stridence voulue. Jusqu'aux instruments à percussions qui se répondent par des coups de cymbales ou de timbales. Ecoutez les laïcs, qui crient haut et fort que le temps de la spiritualité est passé. Ecoutez ces religieux qui vous prouvent par des citations que toute tentative de résoudre le problème juif par le peuple juif lui-même est voué à l'échec et qu'il est urgent d'attendre patiemment le Messie. Ecoutez les diasporistes qui découvrent aux Juifs une vocation missionnaire auprès des peuples qui n'en veulent pas. Ecoutez ces Juifs de la générosité qui vous proclament qu'il n'y a de sainteté pour les Juifs que dans le salut matérialiste (oui il en existe encore, de ceux-là). Ce qui est formidable est que chacun dit ce qu'il dit avec conviction profonde et dépense temps et énergie pour que son idée s'impose en exclusivité. Chacun voudrait être un soliste et s'il est chanteur soliste a capella.
Nous, qui connaissons la partition, ce merveilleux contrepoint fait de l'enchevêtrement des lignes m?lodieuses du peuple d'Israël, de la terre d'Israël et de la Torah d'Israël attendons patiemment l'arrivée du chef d'orchestre qui avec sa baguette, indique le départ de la symphonie juive dans laquelle chacun aura sa part, chacun pourra utiliser au mieux ses talents et son énergie pour le bien commun.

Ainsi, donc ... on a célébré Lagh Ba'omer à Meah Che'arim en brûlant des drapeaux israéliens dans l'allégresse générale. Quelques semaines plus tard, à Chabhou'oth, des Juifs laïcs ont fêté le deux centième anniversaire de la mort de Mozart par un week-end-pique-nique durant trois jours dans les églises et les monastères de Ain Karem, village chrétien des environs de Jérusalem. Pour que la fète soit complète, on a fait venir un specialiste de gastronomie viennoise pour servir des saucisses de Francfort aux participants. Voila un tableau que les socio!ogues qui étudient la societé israélienne peuvent imaginer comme une des données de leurs études. Double provocation extrémiste ne reflétant pas la pluralité israélienne mais indiquant, bien des tendances vivantes et actives.
Nous sommes le peuple de l'utopie messianique, mais là, nous nous trouvons devant deux formes d'utopie qui sont toutes les deux à la limite du pathologique. D'un côté, l'utopie rétrostatique des uns, imaginant qu'on peut vivre enti?rement dans le passé excluant toute réponse neuve à des questions, certes éternelles, mais susceptibles, de par les principes de la Tradition, à être repensées. De l'autre, l'utopie à table-rase des autres, qui imaginent qu'un peuple peut retrouver une réelle jeunesse en gommant totalement son passé ou en s'appropriant un passé qui n'est pas le sien.
Que n'avons nous aujourd'hui un Maharal, lui qui nous enseignait la notion essentielle du Emtsa, du Milieu.. C'est ce qui nous manque le plus. Plus même qu'un Golem qui résoudrait nos problèmes physiques.
Bonnes vacances (en Israël, evidemment).

Ainsi, donc.., cette fète de Roch Hachanah, double en ce qu'elle est en même temps Yom Haddin, jour du jugement, jour du bilan du passé et Tête d'année, moment de projets d'avenir, me fait penser au phénix, cet animal légendaire qui sait, après avoir vieilli, se consumer, devenir de la cendre et renaitre.
En même temps, les deux me font penser à la situation actuelle du peuple juif, double, elle aussi; peuple vieux d'une Histoire millénaire et ayant toutes les qualités mais, aussi, tous les défauts de la vieillesse; peuple jeune, en pleine jeunesse, renovation qui portent tous les espoirs d'avenir.
Quand on pense que nous sommes, en même temps, ceci et cela, on peut calmer nos angoisses quant à l'avenir.

Ainsi, donc...

la souveraineté juive sur la terre d'Israël est la réalisation non d'un rêve mais d'un ensemble de rêves dont les uns sont aussi différents des autres que l'Est est différent de l'Ouest. Avant tout, rêve millénaire, mythique, d'une restauration miraculeuse dont les contours étalent totalement flous. Ensuite, le déplacement de Juifs de la foi vers la Terre Sainte en attendant quelque chose que personne ne connaissait avec précision. l'idée d'une réunion des Juifs pour y fonder un état, copie conforme des états européens. Plus tard encore, un rêve juif m?lé à d'autres, puisant dans un messianisme laïc pour une societé «juste». Quoi d'étonnant à ce que certains prétendent etre «déçus» pour ce qu'Israël est aujourd'hui. Pour les uns, pas assez religieux; pour d'autres, pas assez socialiste; pour d'autres encore, pas assez lib?ral. Evidemment, chacun voudrait un Israël correspondent à son rêve à lui.
Si nous nous référons à l'enseignement du Talmud sur les rêves, nous savons qu'il n'y a que le soixantième de sérieux dans un rêve, le reste étant insignifiant. Si nous nous référons à la sagesse populaire, nous savons que la réalisation est loin d'atteindre les espérances du rêve. La réalité future d'Israël ne sera rien de ce que nous pouvons imaginer aujourd'hui. Elle sera totalement nouvelle, ce qui est messianique en elle. Un Israël habité par un peuple guéri de ses insuffisances galouthiques, animé par une spiritualité qui aurait retrouvé sa vraie raison d'être, c'est-à-dire, être l'âme d'une societé exemplaire, associant le souci moral, tel qu'il est défini par la Torah, aux soucis politiques.
Il se peut fort que cette realité-là soit la chose la plus surréaliste que le monde ait connu.

Ainsi, donc... on peut joindre l'obligatoire et l'agréable en accomplissant la Mitswah du p?lerinage, la Aliya Lareghel, à Jérusalem, pendant la fête de Soukkoth. D'un côté, il est toujours bon d'accomplir son devoir. De l'autre, quoi de plus plaisant qu'un été tardif dans le climat sec et aéré de notre capitale?
Le troisième jour de la fête a lieu une cérémonie magnifique, la Birkath Kohanim, la bénédiction des prêtres, pendant laquelle des dizaines de milliers de Juifs font la prière de Mousaph ensemble et où des centaines de Kohanim, à l'unisson, récitent les trois versets de la Torah qui appellent les bénédictions du ciel sur le peuple d'Israël.
Dans la foule, beaucoup de Juifs ultra-orthodoxes, Haredim, avec lévites de laine noires et chapeaux de fourrure, ceci, par une température de 35 degr?s à l'ombre. Quel est le sens de cet habillement? Avant tout, nier toute valeur aux changements provoqués par l'Histoire et la Géographie dans la vie du peuple juif. Et pourtant, ils n'auraient pas pu être là sans la réussite du projet sioniste et s'ils devaient être là où porter ces vétements a un sens, en Europe, ils n'auraient pas été du tout.
Comment peut-on persister dans une vision purement méta-historique du Judaïsme et refuser tout engagement dans l'Histoire au nom de l'attente de l'Oint.
Ceci représente un échec du Judaïsme de la Torah et nous rend la tâche tellement plus difficile, à nous qui croyons en la Torah et qui croyons qu'en attendant l'Oint il faut préparer le chemin de l'Oint.
Benjamin Duvshani

Ainsi, donc... dans la pol?mique entre Orthodoxie et Lib?ralisme, ces derniers, les lib?raux, utilisent souvent l'argument tir? de la Tradition et qui exprime une vérité essentielle de celle-ci, à savoir: Ces paroles-ci et ces paroles-là sont des paroles du Dieu vivant. Cet argument, s'il était vérifi?, l?gitimerait, dans certaines conditions, le Lib?ralisme et rendrait insupportable l'ostracisme dont il souffre dans les milieux religieux. Mais, cet argument est-il recevable? Ces conditions stipulent que la vérité accept?e soit le r?sultat d'un vote d?mocratique, obligatoire et reconnu par tout le monde. Ce vote d?mocratique ne pouvait avoir lieu que dans une assembl?e dans laquelle tout le monde se r?f?rerait à la m?me source. Pour qu'il y ait cette convergence, la Parole Première, celle de laquelle tout découlait, était reconnue comme Parole absolue, consign?e dans la Torah ?crite. C'est là l'?l?ment essentiel de l'id?e de Saintet? sans laquelle on n'est pas dans le cadre du Juda?sme spirituel.
Quels que soient les reproches qu'on puisse faire à l'Orthodoxie, et il y en a dont le plus grave est, probablement, de porter d'une manière non-vivante la Parole du Dieu Vivant, on est obligé de constater que, souvent, la parole lib?rale, en plus du fait qu'elle est dissidente, est bien plus proche de la parole, aussi belle soit-elle, de l'humanisme la?c, c'est-à-dire d?pourvue de Saintet?. Voilà un problème ?ternel. Savoir de quoi on parle et le sens des mots qu'on utilise.
Et nous, dans tout cela, attendons toujours, impatients, entre la parole non-vivante du Dieu Vivant et des paroles vivantes humaines, trop humaines, les Paroles Vivantes du Dieu Vivant.

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Ainsi donc ... est la rubrique mensuelle que Benjamin Duvshani anime, et il préface ainsi chacune de ses colonnes.